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Année 79, no 5      le 16 février 2015

 
La crise économique en Russie dégonfle
le mythe d’un Poutine génial

 
NAOMI CRAINE
Avec le prix du baril de pétrole autour de 50 $ et le resserrement des sanctions qui prennent effet sous la direction des États-Unis, Moscou — dont l’économie est profondément dépendante des ventes de pétrole sur le marché mondial — fait face à une crise qui s’accélère. Alors que la vulnérabilité de l’économie russe apparaît, avec de terribles conséquences pour les travailleurs, l’image cultivée par le président Vladimir Poutine depuis des années de Moscou comme d’un pouvoir en progression capable d’utiliser sa puissance économique et militaire pour jouer un rôle croissant en Europe et en Asie s’effiloche.

Poutine est très admiré par un grand nombre de personnes à gauche comme un brillant stratège adversaire du capital US, et par un grand nombre de personnes à droite comme un dirigeant solide qui défend les valeurs sociales traditionnelles.

Le pétrole et le gaz représentent 68 pour cent de toutes les exportations russes et contribuent pour plus de la moitié au budget national du gouvernement. Alors que les prix ont touché le fond, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement estime que l’économie russe va se contracter de près de 5 pour cent cette année. Le rouble a chuté au taux bas historique de 64 roubles pour un dollar dans les dernières semaines, et les taux d’intérêt ont monté en flèche à 17 pour cent. En rentrant dans l’année 2015, l’inflation en Russie s’élevait à 11,4 pour cent et continue d’augmenter. Le 26 janvier, Standard and Poor’s a dégradé les obligations du gouvernement russe au statut d’obligations pourries. « Les gens vont devenir chômeurs et vont devoir s’adapter, » déclarait le vice-premier ministre de Russie, Igor Chouvalov, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, le 23 janvier.

The Colder War: How the Global Energy Trade Slipped from America’s Grasp, [La guerre la plus froide : comment le marché mondial de l’énergie a échappé à l’emprise de l’Amérique], par Marin Katusa, un trader en matières premières et opérateur en fonds spéculatifs, est un parfait exemple de l’école de pensée « Poutine est un génie. » Écrit l’année dernière, juste avant la dégringolade des prix du pétrole, Katusa prédisait l’écroulement du dollar US et l’ascension de Moscou à la dominance du monde, fondée sur la croissance ininterrompue du contrôle des ressources de pétrole, de gaz et d’uranium.

The Colder War donne une description utile de comment Poutine, un ancien agent secret de second rang du KGB devenu ensuite chef du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB), l’agence de police secrète qui lui a succédé, a dirigé le gouvernement depuis qu’il a été désigné Premier ministre par le président de l’époque Boris Eltsine en 1999. Après l’implosion de l’ancienne Union soviétique en 1991, l’économie russe — et les conditions et l’espérance de vie des travailleurs ont plongé.

Une forte progression dans la production et l’exportation de pétrole et de gaz a été le principal facteur qui a alimenté la croissance de l’économie entre 1999 et la récession de 2008, et plus lentement depuis 2010. Une couche montante de capitalistes — un grand nombre d’anciens agents du KGB ayant des liens avec Poutine-- ont gagné des situations dans des entreprises d’état de plus en plus lucratives ou ont mis la main sur des usines récemment privatisées, en en profitant généreusement. Des fortunes ont été édifiées dans le sang et la corruption.

« Notre boussole est le profit, » avait inscrit en 1993, Mikhaïl Khodorkovski dans un manifeste, L’homme avec un rouble. Milliardaire qui s’est opposé à Poutine, il a été emprisonné pendant 10 ans sous des accusations de fraudes fiscales, fraudes dont sont coupables la plupart de ses compères capitalistes. « Notre idole est Sa Majesté de la Finance : Le Capital. »

Washington aurait « dû voir que Poutine a un plan à long terme pour Mère Russie, disait Katusa, un plan qui couvre des décennies, pas les quatre ans de cycles électoraux qui focalisent l’attention des politiciens US — et avec à la fois, la vision et les ressources pour que le plan fonctionne. »

La principale compagnie pétrolière russe, Rosneft, a été lancée en 1993 à partir des actifs de l’ancien ministère soviétique du pétrole et du gaz. Elle s’est rapidement développée après 2004 quand elle a pris possession des actifs de Yukos, l’empire pétrolier de Khodorkovski, après qu’il a été renversé et emprisonné.

« C’est la clef de voûte parfaite pour le grand plan de consolidation du pouvoir dans les mains du dirigeant suprême de Russie,explique, Katusa. À ce moment-là Poutine peut faire jouer les dépendances énergétiques des pays les uns contre les autres et presser les Européens d’accepter des contrats à prix élevé.

La crise économique en Russie dégonfle le mythe d’un Poutine génial
Loin d’être le grand stratège que Katusa décrit, Poutine a navigué de façon pragmatique d’un projet à l’autre, réagissant aux pressions mondiales et en étant excessivement dépendant des approvisionnements de Moscou en pétrole et en gaz.

Après que le président pro-russe Victor Ianoukovytch a été renversé en Ukraine par des mobilisations populaires en février 2014, des forces russes ont occupé la péninsule de Crimée, et ont organisé son annexion à la Russie avec un référendum bidon. Moscou a aidé et envoyé des troupes pour renforcer les forces paramilitaires séparatistes dans les provinces de l’est de l’Ukraine.

L’occupation de la Crimée a été coûteuse pour Moscou qui s’est engagé à fournir pour 12 milliards de dollars en fonds de développement pour les cinq prochaines années. Il n’y a pas de frontière terrestre entre la Russie et la Crimée, de sorte que la plupart des biens doivent y entrer par bateau. L’inflation a bondi à 42 pour cent.

À la suite de l’invasion de la Crimée par Moscou, Washington et l’Union européenne ont imposé des sanctions économiques contre un certain nombre de fonctionnaires russes, des banques et d’autres entreprises, et ils les ont élargies quand la guerre séparatiste à l’Est s’est intensifiée.

Une des victimes des sanctions impérialistes a été le pipeline « Flux du Sud, » qui était prévu pour transporter le gaz naturel de Russie vers la Bulgarie via la mer Noire, en contournant l’Ukraine. C’était un projet important pour Moscou, qui exporte la majeure partie de son gaz naturel par pipeline à des pays européens. En juin, le gouvernement bulgare a suspendu le projet, sous la pression des représentants des États-Unis et de l’Union européenne qui ont dit que poursuivre le projet pourrait violer les sanctions et les décisions de l’Union européenne. Poutine a annoncé le 1er décembre que le projet était mort.

Gazprom, la plus importante entreprise de gaz russe dit maintenant envisager un pipeline vers la Turquie, mais il n’y a pas de plan concret. Dans le même temps, l’ouverture prévue en Pologne pour la fin de cette année d’un nouveau terminal pour recevoir du gaz naturel liquéfié peut entamer la domination de Gazprom dans la vente de gaz naturel dans l’est de l’Europe.

Le déclin mondial dans la production et le commerce s’est traduit par moins de demande de pétrole. En même temps, il y a eu une importante progression dans la production de pétrole à partir de la fracturation hydraulique aux États-Unis et de sables bitumineux au Canada. Cela exerce une pression sur toute économie dépendant du pétrole, et la Russie est particulièrement durement touchée.

L’effondrement des prix et les sanctions ont mis aussi en suspens des projets pour augmenter les forages dans l’océan Arctique, en collaboration avec Exxon Mobil et d’autres compagnies pétrolières. La Russie revendique d’importantes réserves de pétrole là-bas, mais il faudrait des investissements considérables de capitaux pour les mettre en valeur.

La réponse pragmatique de Poutine aux développements en Ukraine et ailleurs a rendu de plus en plus nerveux les oligarques dirigeants de Russie auprès de qui il est en dernière analyse responsable.

La plus grande peur des dirigeants est une explosion des travailleurs à travers la Russie, comme celle de Maïdan en Ukraine qui a renversé le régime Ianoukovytch l’an passé. Alors que la situation économique se détériore, « le nombre de conflits industriels va en augmentant, » écrivait en septembre Boris Kravchenko, président de la Confédération du travail de Russie.

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