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Volume 78, no 4      le 3 février 2014

 
Les Ukrainiens défient la nouvelle loi
qui s’attaque au droit de manifester

La lutte contre la botte russe alimente
les manifestations en cours

 
SETH GALINSKY
Quelque 100 000 personnes ont manifesté à Kiev, la capitale de l’Ukraine, le 19 janvier pour exiger l’abrogation de nouvelles lois qui limitent le droit de protester. Ce sont principalement les aspirations nationales du peuple ukrainien qui expliquent des mois de manifestations antigouvernementales. Les Ukrainiens vivent sous la domination russe depuis des siècles, sauf pour les premières années de la révolution russe.

Le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a fait adopter la loi pour tenter d’entraver les manifestations qui ont débuté en novembre lorsqu’il est revenu sur un marché pour signer un accord de commerce et « d’association » avec l’Union européenne. À la place il a pris des mesures pour maintenir des liens économiques et politiques étroits avec le gouvernement du président russe Vladimir Poutine.

Des centaines de milliers de personnes sont alors descendues dans la rue, exigeant la démission de Viktor Ianoukovitch. Un des principaux slogans lors des manifestations de l’opposition a été : « Gloire à l’Ukraine ! Gloire à la nation ! L’Ukraine avant tout ! »

La direction des manifestations est composée d’une coalition hétérogène de partis bourgeois qui soutiennent l’intégration de l’Ukraine dans l’UE. Trois de ces partis ont des sièges au parlement : Patrie, dirigé par l’ancienne première ministre emprisonnée Ioulia Tymochenko ; UDAR — coup de poing en ukrainien — dirigé par Vitali Klitschko, un ancien champion de boxe poids lourd qui fait campagne sur le thème de l’anticorruption, et Svoboda (Liberté), un groupe d’extrême droite qui fait des Juifs des boucs émissaires et qui a introduit des projets de loi visant à interdire l’avortement et « l’idéologie communiste. »

La nouvelle loi adoptée par le Parlement la semaine dernière interdit l’installation publique non autorisée de tentes ou de tribunes et l’utilisation de haut-parleurs en public. Elle impose des peines de prison pour la participation à des « désordres de masse » et pour le port de passe-montagnes ou de casques.

Certains manifestants qui se sont battus avec la police portaient des casseroles et des passoires sur la tête en signe de défi. Quelque 1 500 manifestants ont eu besoin de soins médicaux après les affrontements.

Des siècles sous la botte russe

La suppression des droits nationaux en Ukraine remonte à des siècles. L’Ukraine orientale est devenue un territoire appartenant à la dynastie des Romanov en 1654 et depuis lors la monarchie féodale y a mené une politique de russification. Alors que la domination de la partie occidentale a changé de mains entre l’Autriche, la Pologne et la Russie au cours des siècles, les tsars ont interdit la langue ukrainienne, supprimé l’église ukrainienne et promu la colonisation russe dans les régions qui étaient sous leur contrôle.

Au début des années 1900, l’Ukraine représentait 20 pour cent de la population de l’empire russe, composé à l’époque d’une majorité de peuples non russes qui subissaient divers degrés d’assujettissement. C’était une « prison de nations, » pour reprendre les mots de V. I. Lénine, le dirigeant central du Parti bolchevique et de la révolution russe de 1917.

La bourgeoisie ukrainienne est restée petite et faible. La classe dirigeante et les classes moyennes urbaines étaient issues de la Russie et d’autres nationalités. « En Ukraine et en Biélorussie, » a écrit le dirigeant révolutionnaire russe Léon Trotsky en 1932, « le propriétaire, le capitaliste, l’avocat et le journaliste étaient un Grand-Russe, un Polonais, un Juif, un étranger ; la population rurale était entièrement ukrainienne et biélorusse. ».

En même temps, l’Ukraine était une conquête clé de l’empire, servant de grenier pour la Russie et de source importante pour sa production de charbon et de fer.

L’une des tâches centrales de la révolution bolchevique de 1917 sous la direction de Lénine a été l’émancipation de dizaines de millions de personnes appartenant aux peuples opprimés : du peuple plus avancé culturellement de la région de la Baltique aux musulmans du Caucase et aux tribus nomades de l’Extrême-Orient.

La défense par le Parti bolchevique du droit des nations opprimées à l’autodétermination avant la révolution a été décisif dans l’unification, l’éducation et l’organisation de la classe ouvrière vers la prise du pouvoir politique, ce qui exigeait de forger une alliance avec la majorité des paysans de toutes origines.

Le comité central du Parti communiste de Russie a déclaré en novembre 1919 que les bolcheviks en Ukraine « doivent mettre en pratique le droit des travailleurs et des agriculteurs d’étudier dans la langue ukrainienne et de parler leur langue maternelle dans toutes les institutions soviétiques; ils doivent contrer par tous les moyens les tentatives de russification qui relèguent la langue ukrainienne à l’arrière-plan. »

Cette nouvelle politique d’ukrainisation a aidé les bolcheviks à gagner le soutien du parti ukrainien Borotba (lutte), qui a fusionné avec le Parti communiste ukrainien en 1920.

La machine à assassiner de Staline

Mais la dégénérescence du Parti bolchévique a commencé dès le début des années 1920, incarnée par l’arrivée au pouvoir de Joseph Staline après la mort de Lénine en 1924. Staline a dirigé une contre-révolution qui représentait les intérêts d’une couche sociale privilégiée croissante, centrée dans l’appareil de plus en plus bureaucratique de l’État. Cette caste réactionnaire a renversé le cours bolchévique et ressuscité le chauvinisme grand-russe de l’empire, y compris la soumission à nouveau des peuples opprimés, cette fois sous la fausse bannière du « communisme ».

« Nulle part les purges et la répression n’ont pris un caractère aussi sauvage qu’en Ukraine, » a écrit Léon Trotsky en 1939.

La russification de l’Ukraine a été rétablie. De 1959 à 1989, le nombre de Russes a augmenté de 16,9 à 22,1 pour cent de la population de l’Ukraine.

Lorsque le régime stalinien en Russie et en Europe de l’Est s’est enfin effondré sous la pression de contradictions sociales croissantes dans les années 1990, le nouveau régime a continué à dominer l’Ukraine, dont l’industrie est restée étroitement liée à celle de la Russie. Moscou fournit 60 pour cent du gaz utilisé en Ukraine et a fermé le robinet à deux reprises afin d’obliger le pays à se plier aux exigences du gouvernement de Vladimir Poutine.

Des factions rivales de capitalistes émergents et aspirants sont apparues à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, provenant largement des restes de la bureaucratie soviétique. En Ukraine, la compétition factionnelle s’est partiellement basée sur les divisions entre l’Est et l’Ouest, Russes et Ukrainiens, l’orientation vers Moscou et vers l’Occident. En même temps, les aspirations nationales des travailleurs et agriculteurs ukrainiens sous la botte russe restent fortes.

À la fin de 2004, pendant ce qu’on a appelé la révolution orange, des centaines de milliers de personnes, pour la plupart venant de la partie occidentale du pays, sont descendues dans la rue pour s’opposer à la poursuite de la domination russe du pays et à ce qu’elles considéraient comme une élection truquée qui a donné la présidence à Viktor Ianoukovitch, alors premier ministre.

Par conséquent, une nouvelle élection a été convoquée et un candidat bourgeois de l’opposition, Viktor Iouchtchenko, a été élu président. Il est entré en fonction en 2005, mais une série de scandales de corruption l’ont laissé avec peu de soutien à la fin de son mandat.

Aujourd’hui, environ quatre personnes sur six en Ukraine sont des Ukrainiens et parlent la langue ukrainienne. Une personne sur six est un Russe qui parle le russe et environ une personne sur six est un Ukrainien qui parle le russe. Le russe est la langue principale dans une grande partie des régions de l’Est et du Sud du pays, des régions qui sont économiquement plus développées.

Viktor Ianoukovitch est redevenu président après avoir remporté les élections en 2010. En juillet 2012, son Parti des régions a réussi à faire adopter une loi linguistique qui favorise l’établissement du russe comme langue officielle dans certaines régions.

Ukrainian Week a rapporté en mars dernier que les huit principales stations de télévision ukrainiennes diffusent moins d’un quart de leur contenu pendant les heures de grande écoute en ukrainien. Moins de cinq pour cent des chansons sur les six plus grandes stations de radio sont en ukrainien.

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