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Année 78, no 40      le 10 novembre 2014

 
Un film sur l’histoire des travailleurs haïtiens
à Cuba dans les années 1930

Ne réussit pas à placer cette histoire dans son contexte politique  

FRANK FORRESTAL
Le film Reembarque de l’auteur de films documentaires cubaine Gloria Rolando raconte l’histoire des travailleurs haïtiens qui ont émigré dans la partie orientale de Cuba pendant le boom du sucre des années 1920 et 1930. Selon le film, quelque 700 000 Haïtiens ont été amenés à travailler dans les énormes plantations de canne à sucre, sucreries et plantations de café de la province cubaine Oriente.

Pendant l’occupation d’Haïti par l’armée US, des fournisseurs de main d’œuvre allaient en Haïti pour recruter des travailleurs dans le but de satisfaire la demande croissante en sucre cubain, que le film décrit comme l’« or de cette époque. » Une fois rendus à Cuba, ces travailleurs haïtiens vivaient sur les plantations dans des conditions de vie déplorables, dans des communautés appelées bateyes.

En 1937, au début d’une profonde récession économique, des milliers d’immigrants haïtiens ont été retournés dans leur pays. Le film montre comment ils ont été rassemblés par la Garde rurale méprisée, qui fonctionnait comme une force policière privée pour les barons du sucre, et entassés comme du bétail dans de grands bateaux.

Reembarque a été présenté en avant-première le 11 octobre à l’Institut d’art de Minneapolis, avec l’appui financier des Arts Obsidian, du Centre international du Minnesota et du Comité Minnesota-Cuba. Une centaine de personnes ont assisté à la présentation, qui a inauguré une tournée américaine du film et de sa réalisatrice. Il a été présenté en collaboration avec l’Institut cubain de l’industrie et de l’art cinématographiques (ICAIC).

Le documentaire est bien fait. Il présente des entrevues avec de vieux Haïtiens qui ont connu cette période, ainsi que des contributions de chercheurs et de représentants gouvernementaux cubains. Il comporte également des images du riche héritage culturel haïtien encore très présent à Cuba — musique, danse, cuisine, vaudou. Mais ce film de 58 minutes rate malheureusement l’occasion de placer les expériences des travailleurs haïtiens dans le contexte plus large de qui arrivait à Cuba et dans le monde durant les années 1930 et d’expliquer l’impact que ces expériences ont eu sur ceux qui allaient devenir les dirigeants de la révolution cubaine de 1959.

Par exemple, dans une scène, Jorge Risquet, un leader de la jeunesse du PSP en 1959 (le Parti socialiste populaire est le nom adopté par le Parti communiste à Cuba en 1944), dit qu’il ignorait ce à quoi les travailleurs haïtiens devaient faire face à Cuba et l’a d’abord appris de Raúl Castro. Risquet dit que Castro était très familier avec les conditions des travailleurs haïtiens et en parlait en haute estime. Cependant, rien de plus n’est expliqué sur ce sujet.

Une partie me hérisse. Gloria Rolando interviewe un travailleur haïtien qui décrit comment le père de Castro a employé de nombreux travailleurs haïtiens — un travailleur a appelé cela « petite Haïti. » Le jeune Fidel jouait souvent au baseball avec les travailleurs et leur fournissait des gants, des bâtons, etc. Fidel jouait au premier but et tout le monde était « très heureux, » a-t-il dit. Mais quand Fidel n’était pas là, ils ne pouvaient pas jouer car il avait tout l’équipement et les Haïtiens étaient trop pauvres pour fournir même un bâton.

En allant plus en profondeur, le documentaire aurait pu puiser dans ce que Fidel Castro a dit et écrit sur cette période. Ceci aurait rendu le film plus compréhensible et intéressant.

Dans l’interview autobiographique Ma vie, un échange a lieu entre le co-auteur Ignacio Ramonet et Fidel au sujet des travailleurs haïtiens durant cette période. « Pendant les années du boom du sucre, ils venaient par dizaines de milliers pour aider à la plantation, la culture et la récolte de la canne à sucre, dit Fidel Castro. Ils ont travaillé dans les champs de canne pratiquement comme des esclaves, à coup de grands sacrifices et pour des salaires très bas. »

« Je pense — en fait je suis absolument sûr — que les esclaves du dix-neuvième siècle avaient un meilleur niveau de vie et de meilleurs soins que ces Haïtiens, » a dit Fidel Castro dans une entrevue avec Frei Betto, publiée dans le livre Fidel Castro et la religion. « Les esclaves étaient traités comme des animaux, mais ils recevaient de la nourriture et étaient pris en charge pour qu’ils vivent et se reproduisent. Ils étaient conservés comme faisant partie du capital de la plantation. Mais ces dizaines de milliers d’immigrants haïtiens ne pouvaient manger que lorsqu’ils travaillaient, et personne ne se souciait de savoir s’ils vivaient ou s’ils mouraient de faim. »

Le parrain de Fidel Castro était le consul haïtien à Santiago de Cuba, « un homme riche, très riche, » dit Castro dans Ma vie. Un jour, le consul a amené Castro voir l’un des navires remplis d’Haïtiens, « tassés comme des sardines dans une boîte de conserve, qui avaient été expulsés du pays. … [J’ai vu] des Haïtiens des maisons de chaume où j’avais mangé du maïs rôti en épi, envoyés à ce paquebot de luxe sur lequel ils ont été expulsés de Cuba, pour confronter, qui sait, de terribles épreuves dans leur propre pays, qui était et qui est encore plus pauvre que Cuba. Ils ont été envoyés d’une vie terrible de misère et de pauvreté à une autre encore pire. »

« Quand la prétendue révolution de 1933 est arrivée, elle a cédé à la soi-disant nationalisation du travail et à la demande que la préférence à l’embauche soit accordée aux Cubains, ce qui a conduit à cet évènement dont je vous parlais, » explique Fidel Castro. Cette loi « a été principalement utilisée pour expulser des milliers et des milliers d’Haïtiens qui étaient venus à Cuba et vivaient sur l’île depuis plus de 20 ans. [… ] Ils les ont donc envoyés en Haïti de cette manière cruelle et impitoyable, dans ce bateau plein de déportés. Vraiment inhumain. »

Cette expérience « inhumaine » a eu un profond impact sur le jeune Fidel et sur Raúl. « Je n’avais aucune idée, bien sûr, dit Fidel, combien serait précieuse cette expérience pour moi plus tard, combien elle m’aiderait à comprendre le monde. »

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