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Volume 78, no 3       le 27 janvier 2014

 

Les manifestations de réfugiés
africains suscitent un débat
parmi les travailleurs en Israël
 

SETH GALINSKY
« Avant, nous avions peur mais maintenant nous sommes unis, » a dit Filimon Abraham, un aide de cuisine originaire d’Érythrée joint à Tel-Aviv en Israël le 11 janvier dernier. Il faisait référence aux manifestations de réfugiés africains contre les détentions et toutes les tentatives déployées par le gouvernement israélien pour les expulser du pays.

« Les manifestations ne serviront à rien. Les grèves ne serviront à rien, » a dit le premier ministre Benjamin Netanyahu dans un communiqué le 5 janvier. « Nous sommes déterminés à renvoyer les infiltrés illégaux. »

Le 5 janvier, premier jour d’une grève de protestation des réfugiés, quelque 20 000 personnes ont défilé à Tel Aviv en scandant : « Nous ne sommes pas des criminels, nous ne sommes pas des infiltrés, nous sommes des réfugiés. » La manifestation a été suivie d’actions quotidiennes au cours des quatre jours suivants, y compris une manifestation de 10 000 personnes le 8 janvier à Jérusalem devant la Knesset, le parlement israélien.

Depuis 2006, près de 36 000 Érythréens et 15 000 Soudanais sont entrés en Israël depuis l’Égypte par le désert du Sinaï, fuyant les régimes répressifs de leur pays d’origine. Puisqu’Israël n’a pas de relations diplomatiques avec le Soudan, le gouvernement israélien ne peut pas légalement expulser les Soudanais. La répression en Érythrée est si largement reconnue qu’il est politiquement difficile d’expulser les Érythréens.

Les autorités israéliennes ont d’abord émis des visas temporaires et leur ont donné des billets d’autobus pour Tel-Aviv.

« Ils ne nous ont pas donné de permis de travail ni un endroit pour habiter. Nous avons appris l’hébreu, trouvé des emplois et payé le loyer par nos propres moyens, » a dit Filimon Abraham. Les hôtels, restaurants et entreprises de nettoyage ont accueilli les Africains comme une source de main-d’oeuvre à bon marché. « S’ils embauchent des Israéliens ils devront les payer à un salaire beaucoup plus élevé, a dit Filimon Abraham. C’est pourquoi ils veulent se servir de nous. »

En juin 2012, la Knesset a adopté une loi autorisant le gouvernement à emprisonner les migrants pendant trois ans. Le gouvernement a commencé la construction d’une clôture de haute technologie de 225 kilomètres de long, pour empêcher les Africains d’entrer. Le nombre de nouveaux arrivants est passé d’environ 2 000 par mois au début de 2012 à 34 au cours des six premiers mois de 2013.

La Cour suprême israélienne a annulé la loi en septembre 2013, statuant qu’une durée de trois ans était trop longue. La loi qui l’a remplacée autorise le gouvernement à emprisonner les réfugiés pendant un an et les détenir indéfiniment dans des centres de détention soi-disant ouverts, tels que Holot dans le désert du Néguev, où les détenus doivent se présenter à trois appels nominaux par jour et rentrer tous les soirs.

« Le gouvernement dit que la détention ouverte n’est pas une prison. S’ils veulent vérifier ma présence toutes les deux heures, si je ne peux pas me déplacer où je veux, alors je suis en prison, » a dit dans une entrevue téléphonique Noury Musa, un ouvrier pâtissier du Soudan qui travaille dans une station balnéaire de la mer Morte.

« Les membres du Meretz [un parti politique social-démocrate] à la Knesset ont déclaré depuis la tribune de la Knesset que « l’État d’Israël n’aurait rien à craindre s’il laissait entrer ces 53 000 personnes, » a dit Gideon Sa’ar, le ministre de l’Intérieur, au quotidien Hayom. « Je suis en désaccord avec les gens qui sont de cet avis. En ce qui concerne l’identité juive et le désir de l’affaiblir, que cela soit l’intention ou non de ceux qui soutiennent les étrangers, tel sera le résultat. »

Les manifestations et les dernières mesures du gouvernement, y compris la décision d’envoyer plus de réfugiés à Holot, ont suscité un débat national. Hayom a publié un sondage indiquant que 61 pour cent des Israéliens juifs veulent que les Africains soient expulsés et seulement 11,6 pour cent pensent qu’ils devraient être autorisés à vivre et à travailler en Israël.

« Je pense que la moitié du pays est pour nous et que l’autre moitié ne veut pas de réfugiés, » a dit au Militant, depuis Arad, Mohamed Salih, un dirigeant soudanais des manifestations. « Les étudiants de l’université Ben Gurion et de l’Université de Tel Aviv disent qu’ils soutiennent les réfugiés. Beaucoup d’Israéliens sont allés à Holot pour leur amener de la nourriture et des vêtements. »

Mohamed Salih a décrit une conversation avec un chauffeur de taxi juif qui soutient les mesures anti-réfugiés. « « Les travailleurs asiatiques viennent ici avec un contrat de travail de cinq ans, » m’a raconté le chauffeur de taxi. « Ensuite ils s’en vont chez eux. Mais vous les Africains, vous voulez rester ici pour toujours, » a dit Mohamed Salih.

« S’ils sont des réfugiés, pas de problème. Mais la plupart viennent pour faire de l’argent facile, beaucoup sont des criminels, » a dit depuis la banlieue de Tel Aviv le 12 janvier dernier Haim Sahar, dirigeant d’une récente campagne de syndicalisation de la Histadrout à la compagnie de téléphone Pelephone. Haim Sahar a décrit la prison comme un refuge. « À l’intérieur, vous avez l’éducation, des médecins, de la nourriture. Ils devraient dire « merci ». »

Histadrout, la plus grande fédération syndicale au pays, qui a des liens serrés avec le gouvernement, n’a pas pris position sur la question des réfugiés.

« Nous soutenons les demandeurs d’asile comme un cas de droits humains, » a dit au Militant le 13 janvier dernier Shay Cohen, un organisateur de Koach La Ovdim, une fédération syndicale fondée en 2007. « C’est également un problème relié au travail. Les travailleurs sans permis de travail sont utilisés comme une arme contre les travailleurs israéliens et la solution, c’est la solidarité avec leur lutte pour des droits égaux. Ils devraient recevoir des visas de travail et avoir la possibilité d’adhérer au syndicat. »

Une pluralité de points de vue
Shay Cohen est partie prenante d’une campagne de syndicalisation parmi les travailleurs juifs ultra-orthodoxes dans une usine de traitement du poulet. « Ils ont une grande pluralité de points de vue, allant de très hostiles à solidaires avec les demandeurs d’asile africains, a-t-il dit. C’est intéressant de voir que tous se sentent libres de discuter de ces choses. »

Beaucoup de réfugiés africains travaillent côte à côte avec des travailleurs juifs et palestiniens. « La plupart des ouvriers pâtissiers sont des Russes juifs mais j’ai aussi des collègues qui sont Arabes, a dit Noury Musa. Beaucoup de collègues m’ont appelé et m’ont demandé s’ils pouvaient m’aider d’une façon ou d’une autre. »

« Israël a absorbé des dizaines de milliers d’Éthiopiens juifs, » a dit par téléphone le 11 janvier Hashem Mohameed, un ancien membre de la Knesset, Palestinien originaire de la ville arabe de Umm al-Fahm. « Israël n’a pas besoin de chasser ces réfugiés, ils peuvent les laisser vivre ici. »

« Dans nos têtes, les Palestiniens croient tous que les Soudanais et les Érythréens ont raison. Mais peu d’entre nous se joindraient aux manifestations, nous avons nos propres problèmes, » a-t-il dit.

Après que le gouvernement a déclaré une période officiel de deuil suite à la mort, le 11 janvier dernier, de l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, les dirigeants des communautés soudanaise et érythréenne ont marqué une pause quant à de nouvelles manifestations.

« Environ 50 pour cent d’entre nous sommes retournés au travail, a dit Mohamed Salih. Beaucoup d’entre nous avons des problèmes financiers, nous devons payer le loyer. » Il a raconté que certains ont été licenciés lorsqu’ils ont tenté de retourner au travail.

Les travailleurs soudanais et érythréens discutent des prochaines étapes.

« Ils veulent que nous partions, a dit Noury Musa. Pour aller où ? Je ne mettrai pas ma vie en danger encore une fois. »

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